L’épidémie du #covid19 confrontée à la socio-démographie des pays Scandinaves[mis à jour en mai 2021]
Le monde scandinave fait l’objet, notamment depuis le début de la pandémie de Covid 19, de graves erreurs de compréhension. C’est pourquoi je vous propose de chercher à comprendre pourquoi la Suède est le pays scandinave le plus touché après un an de pandémie mondiale. Pour cela, nous allons utiliser des comparaisons statistiques issues des données d’Eurostat[1] ainsi que des données des différents instituts de statistiques[2][3][4]. L’objectif de cette étude est de chercher à expliquer d’où peut venir ce différentiel de mortalité sans chercher à comparer, à nouveau, les politiques publiques mises en place pour contrer l’épidémie.
A titre de rappel (et sans utiliser d’argument d’autorité), j’indique avoir une formation universitaire polyvalente puis avant de me tourner vers le monde des statistiques, de la cartographie, de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire. Je ne prétends, aucunement, détenir une seule vérité mais je vous offre un regard quasi-neutre sur la Scandinavie en remettant en propre un thread qui n’a plus aucun sens[5]. On y va ?
En premier lieu, en France, nous entendons régulièrement que la Scandinavie sont les pays nordiques. Ce qui est, factuellement, faux. En effet, les pays nordiques concernent le Groenland, l’Islande, les îles Féroé, le Danemark, la Suède, la Norvège et la Finlande. Chacun possède une histoire différente mais la Suède, le Danemark et la Norvège possède une histoire commune : la Scandinavie[6]. Cette petite disgression historique a son importance car ses trois pays ont vécu, au sein du même royaume (Union de Kalmar), avec parfois des périodes de semi-indépendance avant de se séparer, sans trop de difficultés, en 1814 pour la Norvège puis en 1905 entre la Suède et le Danemark. Les volontés d’indépendance entre ces pays vont s’expliquer, en grande partie, avec la volonté de contrôler les échanges commerciaux entre la Mer du Nord et la Mer Baltique et, surtout, le contrôle de la Mer Baltique dont on mesure mal, depuis la France, l’importance de son activité économique notamment avec l’Allemagne, les Etats Baltes et la Russie. Encore que le débat houleux et récent sur le Gazoduc Nord Stream II suffit à rappeler un certain nombre de points et d’enjeux.
Des pays protestants bien que sécularisés
Ces pays scandinaves ont vécu une très grande influence de la religion protestante luthérienne lors de la mise en place de la Réforme par les penseurs protestants (Luther, Calvin)[7]. Je dirais qu’on y retiendra que le protestantisme a structuré, fortement, leur pensée, leur éthique et la cohésion de ces sociétés qui reposent sur la responsabilité individuelle de l’individu, une notion du travail “sacré” selon l’éthymologie de Luther qui parlait de Beruf et remis à l’ordre du jour par l’immense travail de Max Weber[8].
J’élude le débat car l’essai reste critiqué de nos jours mais reste intéressant pour comprendre quelques différences notables entre les sociétés d’obédience catholique et celles qui se sont tournées vers la Réforme. Par ailleurs, ce sont des sociétés qui se sont séparées, plus tard que la France avec la loi de 1905, de leurs Eglises d’Etat. Une laïcité à la nordique fait son chemin avec les problématiques du multiculturalisme dont le débat fait rage dans ces trois pays[9]. Cette différence culturelle et religieuse va expliquer, également, la place de la mort, de l’éthique du soin dans ces sociétés (à ce sujet, le livre d’Eric Fuchs proposait des pistes intéressantes).
Cette histoire complexe, parsemée de guerres et de mainmise du voisin sur un autre, conduit à dire que la Scandinavie forme, depuis la France, une entité homogène. Mais, en réalité, les différences subtiles et l’évolution de ces pays depuis leur indépendance font que leur socio-démographique vont nous intéresser quant à leurs effets sur la dynamique épidémique. Et dire à un Suédois qu’il est norvégien, c’est comme dire à un néerlandais qu’il est allemand. Je vous garantis un incident diplomatique.
Petit rappel épidémiologique sur le covid-19
Avant de rentrer dans les critères démographiques pour comparer ces trois pays, je rappelle que le covid-19 a touché très fortement la population âgée des pays européens (> 65 ans) ainsi que des gens plus jeunes atteints de pathologies entraînant un désavantage en cas d’infection respiratoire (obésité, cancer, insuffisance cardiaque/veineuse/respiratoire)[10]. Il y a des conséquences à plus ou moins long terme de la maladie. Par ailleurs, les hommes ont été plus touchées que les femmes sur la mortalité.
C’est à partir de là que nous allons donc chercher à savoir si des critères démographiques et géographiques peuvent expliquer les différences de mortalité en Scandinavie.
I. Des populations similaires mais avec des différences notables sur la répartition hommes/femmes dans la structure démographique en fonction des classes d’âge.
I.A. Des pyramides des âges similaires mais dont les différences entre les pays vont varier du simple au double.
Pour comprendre la structure démographique d’un pays, la pyramide des âges nous offre la possibilité d’un regard vaste sur un pays. L’épidémie du covid-19 concerne, principalement, des personnes d’un âge supérieur à 65 ans. Ces données nous permettent d’établir des bases de comparaisons sans entrer dans un débat épidémiologique. Pour comparer les pyramides des âges, la forme permet d’offrir une première analyse[11]. Les trois pays ont une forme plutôt cylindrique témoignant d’une répartition plutôt homogène entre les classes d’âges avec un renouvellement de population. Avec les données des instituts de chaque pays, on peut calculer des proportions de classes d’âges pour distinguer des premières nuances. [MaJ au 24 février 2021] : Il est ajouté le détail des pyramides des âges à jour des dernières statistiques sur les instituts scandinaves. La France est ajouté en groupe contrôle et en comparaison.
Entre les trois pays, la répartition des personnes âgées diffère fortement. Ainsi, entre le Danemark et la Suède, la proportion de personnes est légèrement plus faible en Suède sur les classes d’âges de 60–69 ans ainsi que de 70–79 ans. Par contre, il y a 1% d’écart sur la classe d’âge 80–89 ans et quasiment 3% d’écart pour les + de 90 ans. La Norvège compte 2 fois moins d’habitants entre 60–70 ans par rapport à la Suède et environ, 1,5 fois moins que le Danemark. Sur les 70–80 ans, notons que la Suède comprend 2 fois plus de personnes âgées que la Norvège et environ, 1,5 fois plus que le Danemark. C’est à peu près identique sur les classes 80–90 ans bien que le Danemark et la Norvège soient quasi-identique. Pour les centenaires, notons que la Suède en compte 1000 de plus que ses voisins. Les pyramides sont fin 2020. Cela ne peut que jouer sur la dynamique épidémique.
- Norvège : 588 519 habitants(60–70 ans), 450 468 (70–80 ans), 193309 (80–90 ans), 44 828 (90ans-100ans) et 1720 (+ 100 ans)
- Danemark : 657 783 habitants (60–70 ans), 574 697 (70–80 ans), 235 548 (80–90 ans)n, 44 257 (90ans-100 ans) et 1201 (+ 100 ans)
- Suède : 1 108 438 (60–70 ans), 989 013 (70–80 ans), 435 579 (80–90 ans), 97 420 (90–100 ans) et 2207 (+100 ans).
- France : 8 000 803 (60–70 ans), 5 959 261 (70–8à ans), 3 214 055 (80–90ans), 900591 (90–100 ans) et 27 304 (+ 100 ans). Pour la France, la population est d’environ 67 000 000 millions d’habitants mais la structure démographique est quasiment celle de la Suède.
I.B. Un déséquilibre homme/femme marqué dans la démographie des pays scandinaves, notamment en Norvège.
Au 22 avril 2021, nous pouvons compléter cette analyse démographique avec un article de l’INSEE norvégien sur l’absence sur-mortalité en Norvège (qui est là depuis une dizaine d’années hors-covid/grippe). Les hommes sont plus touchés sur les décès et les formes graves du SARS-Cov2 que les femmes (voir les bulletins hebdomadaires des pays). Si vous avez un déséquilibre homme/femme dans votre démographie, cela va jouer sur la comparaison des pays puisque la pénétration du virus ne sera pas forcément identique avec une cinétique différente. Ainsi, on voit que la démographie Danemark-Norvège est proche sur ce point tandis qu’elle est, plutôt, en défaveur de la Suède. Ainsi, pour les hommes, le Danemark est un pays avec plus de femmes que d’hommes pour l’ensemble des ses classes d’âges > 65 ans. La Norvège se situe entre le Danemark et la Suède tandis que la Suède compte plus d’hommes que de femmes dans la quasi-totalité de ses classes d’âges. Cette différence peut expliquer une sur-mortalité ou une sous-mortalité selon les classes d’âge au regard de cette maladie.
Une statistique intéressante est de reprendre un indice calculé par Eurostat nommé le ratio-dépendance vieillesse. Les dernières données fiables, sont de 2016. Les données, plus récentes, sont provisoires ou estimées, et on note que :
- Suède : 31,5% puis Danemark à 29,3% et Norvège à 25%
- France : 30,5% et moyenne UE à 29,6%
Première conclusion :
La Suède a une proportion de personnes très âgées bien plus importante que ses deux voisins réunis sur un ordre de grandeur d’environ du double. Le Danemark et la Norvège ont une part de population plus jeune. A comparer avec la France, ces pays n’ont pas vraiment une génération “baby-boom” comparé à nous. Ainsi, la France a 9% de personnes faisant partie de la classe d’âges 75+ pour situer. Pour la France, nous avons 8% de la population âgée de 70–79 ans, puis 4% de 80–89 ans et enfin, 1,32% pour la classe d’âge +90 ans. La France se situe dans une position d’équilibre entre le Danemark et la Suède bien que proche de la Suède.
En second lieu, la population en Suède est de 10 327 589 au dernier recensement[2] quand la Norvège recense 5 367 580 habitants[3] et le Danemark, 5 840 045 habitants [4]. Pour comparer ces trois pays, il est nécessaire de se rappeler que la concentration de population ne sera pas la même et qu’il sera nécessaire de se rappeler que la structure démographique est différente entre ces trois pays.
Ainsi, nous pouvons estimer que les démographies ont joué un rôle sur la diffusion de l’épidémie. La Suède possède plus de 2 fois la population âgée de ses voisins, ce qui doit être pris en compte dans la comparaison. Par ailleurs, elle compte plus d’hommes que ses voisins dans les classes d’âges fortement concernées par le SARS-Cov2 ce qui est un facteur important.
II. Une répartition de la population bien différente entre chaque pays témoignant d’une densité forte autour de la Mer Baltique.
II.A Quelques notions de densité pour comprendre l’influence de l’urbanisme dans une épidémie :
C’est un véritable débat enclenché sur les réseaux sociaux par un chercheur expatrié en Suède[12]. Son article ne prend pas en compte de manière claire et synthétique, les notions de densité urbaine, de densité de population et d’aménagement du territoire des pays scandinaves. Il faut faire un point sur les définitions que je vais employer, ensuite :
- La densité urbaine recouvre deux définitions différentes avec la densité de population qui est le nombre d’habitants au km2 ou celle que j’explique, en-dessous, de densité bâtie. La première définition est utilisée par les démographes. Pour l’épidémie, il me semble plus judicieux de parler de densité bâtie et de densité d’habitats qui recouvre, notamment, la surface bâtie au km2 mais également le type d’habitats au km2. Cette définition utilisée par les urbanistes va nous permettre d’approcher les différences intrinsèques de ces villes[13][14]. En effet, on peut avoir une forte densité d’habitants mais ce n’est pas forcément lié à un flux dense de circulation de personnes en fonction des constructions, de leurs usages et du nombre de personnes accueillies au sein de ces constructions. Ce flux peut jouer sur une propagation épidémique.
L’image ci-contre vous montre, très simplement, ce que vous recouvre la notion de densité urbaine au sens urbanistique. Du moment, que vous préférez cette notion, vous pourrez approcher la notion de flux de personnes circulant au sein d’un quartier ou d’une ville. Or, qualifier le flux de personnes vous permet de dessiner une dynamique épidémique au sein d’une ville et les villes diffèrent dans leur organisation territoriale[15]. L’article de TRIBU vous permettra d’approcher cette notion de densité qui reste à manier avec quelques précautions. La densité urbaine est, en forte discussion, en France avec les travaux du PUCA-POPSU dont je ne saurais que vous recommander leur ouvrage sur (dé)densifier les campagnes urbaines[15] car il faut retenir que la densité urbaine se mesure, aussi, dans des villes de taille moyenne. Et vous serez parfois bien étonné de vous rendre compte que Paris est parfois moins dense qu’une petite ville de province sur certains points comme l’accès aux services (ex : l’accès aux commerces, aux services publics, à l’hôpital). Sinon, pour être plus sérieux, c’est un débat d’urbaniste loin d’être tranché[16]. En effet, la crise sanitaire a permis d’interroger le domaine de la Fabrique de la Ville avec des notes d’une richesse incroyable réalisé par le PUCA-POPSU[17]. Pour ce qui va suivre, je vous conseille les notes n°1 et n°3 qui vont nous servir dans la réflexion des capitales nordiques dans l’organisation des villes. En effet, une forte densité urbaine impacte sur la qualité de vie (type de logements disponibles, taille, etc.).
- La densité urbaine recouvre, également, la notion d’habitants au km2 comme je l’ai mentionné plus haut. Dans les pays scandinaves, la répartition de la population est très concentrée autour de la Mer Baltique tandis que les espaces du Grand Nord (Norvège/Suède) sont quasiment “vides”. Au Danemark, la presqu’île de Copenhague concentre la quasi-totalité de la population quand le Jutland est bien moins peuplé. Pour comparer très bien les pays nordiques, je vous conseille le State of the Nordic Regio de la coopération Norden et qui offre une analyse incomparable de ces pays.
Sur les deux cartes jointes, vous constaterez visuellement que la densité n’est pas la même entre la France et les pays nordiques ce qui est un désavantage certain pour la Suède ainsi que pour le Danemark. La population suédoise se concentre, sur le sud, tandis que la population danoise peuple, de manière quasi égale, la péninsule du Jutland et la presqu’île de Copenhague. La Norvège peut tirer un avantage géographique puisque le Nord et le Sud sont bien distincts avec un fort peuplement dans le fjord d’Oslo puis le long des côtes nordiques. Les cartes de densité permettent de vous montrer, de manière schématique, la répartition de la population sur un territoire donné.
Nous retiendrons, cependant, les statistiques suivantes (attention par rapport à mon thread, j’ai bien repris les dernières statistiques parues en 2021). Lorsque je vais comparer les pays, je m’attacherai à comparer à l’échelle du pays puis à l’échelle NUTS2 et, parfois, à l’échelle NUTS3. Ces découpages européens offrent l’unique possibilité d’avoir des régions “homogènes”:
- Le sud de la Suède (SE11, SE12, SE21, SE22 & SE23) concentre 83% des habitants du pays.
- Le sud de la Norvège (NO00A, NO002, NO008 et NO009) concentre 79% des habitants.
- La presqu’île de Copenhague (Hovestaden et Sjaelland) concentre 47% des habitants.
Au niveau NUTS2 :
- Le comté de Stockholm (SE11) concentre 23% des habitants.
- La région d’Oslo (NO08) concentre 36% des habitants
- La région de Copenhague (Hovedstaden) concentre 31% des habitants.
- A unique comparaison, Paris concentre 17% de la population française.
Au niveau NUTS3 ce qui n’a pas beaucoup d’intérêt car cela ne prend pas en compte l’aire d’influence de la ville (uniquement la ville-centre)
- Stockholm : 9,45% de la population
- Copenhague : 13,6% de la population
- Oslo : 12,6% de la population
Les cartes NUTS2 sont téléchargeables sur le site d’Eurostats ainsi que sur Wikipédia. Attention, toutefois, à Wikipédia car les découpages ne sont pas forcément à jour.
Seconde conclusion:
L’aménagement du territoire et l’occupation du territoire n’est pas identique les pays scandinaves. Ainsi, le comté de Stockholm est un peu moins dense que la région d’Oslo et de Copenhague. Les calculs à l’échelle des aires urbaines d’influence, montrent, par contre que Stockholm concentre plus de population qu’Oslo et Copenhague. La densité par habitant montre que les échanges vont se concentrer dans une partie de ces pays, tandis qu’en France, les échanges commerciaux sont beaucoup plus éclatés dans le pays avec des flux de personnes plus diversifiés. En effet, là où ces pays se concentrent sur un espace restreint, notre développement est centrée sur la métropolisation des “capitales” régionales associée à un lien fort — ou centralisé — vers l’Île-de-France. Cet éclatement territorial va jouer sur la mortalité. Sur la dynamique épidémique, il y a une influence qui pourra se caractériser après une étude poussée des clusters/villes et liées à la mobilité. A noter, que les échanges frontaliers sont très importants entre la Suède et le Danemark dans la région de l’Øresund tandis que les échanges Suède-Norvège se font via la province de la Scanie mais également, avec le centre du pays autour de la frontière norvégienne[22].
II.B. Un aménagement du territoire bien différent dans les trois pays scandinaves avec des régions dont l’accessibilité peut fortement différer.
A titre d’exemple sur l’aménagement du territoire,, le réseau ferré permet de démontrer pas mal de choses. Vous constaterez que la Suède a un sud extrêmement bien connecté avec ses voisins quand, en Norvège et au Danemark, une seule liaison permet de parcourir le pays. Ce type de cartes peut aider à améliorer la compréhension de la propagation d’une épidémie. En France, sur la première vague, l’épidémie s’est propagée le long des réseaux de transports (sillon rhodanien, sillon lorrain, connexion avec île-de-France) pour résumer.
En termes d’aéroport, l’aéroport d’Arlanda à Stockholm est le 3ème aéroport en termes de passagers derrière Oslo et Copenhague mais a des destinations plus importantes et plus diversifiées que les deux autres aéroports. Les liaisons, entre ces pays, sont fortement dépendantes de ces aéroports (5h de train entre Copenhague-Stockholm contre moins de 2h en avion). Dès lors, bien que cela soit une porte ouverte, vous concentrez les activités par les réseaux de transports sans avoir un phénomène marqué de métropolisation que l’on voit, en France.
[MaJ au 24 février 2021] La mobilité, durant la pandémie, a été fortement réduite par de nombreuses décisions (télétravail, fermeture des frontières, chômage…) et le site de Norden a sorti une carte qui montre bien, entre les pays scandinaves, que l’impact n’a pas été le même. Sans rentrer dans les structures du marché de travail de ces pays, la Suède (enfin, la région de Stockholm) a moins diminué ses déplacements domicile-travail que ses voisins. Soit, c’est lié au fait que la population faisait, déjà, du télétravail avant cette crise (et ça n’a pas beaucoup évolué) ; soit la population a été moins enclin que la Norvège et le Danemark à s’y mettre. Clairement, je n’ai pas la réponse car c’est un domaine que je connais assez peu.
Une chose intéressante, à noter, concerne la mobilité des travailleurs frontaliers. Le Danemark en possède, une minorité, autour de la frontière allemande tandis que la Norvège en possède, très peu. Par contre, la Suède a une importante mobilité trans-frontalière autour de la région de l’Øresund ainsi que dans le comté du Västerbotten sur la frontière suédo-norvégienne. Cette spécificité du marché du travail suédois sera, à prendre en compte, dans la propagation de l’épidémie ce qui fut fait entre les pays avec la fermeture de la frontière norvégienne et du pont pendant quelques semaines sauf pour les pendulaires. C’est un vrai sujet à polémique dans ces pays avec la pandémie et qui a démontré une interconnexion forte de la Suède avec ses voisins immédiats.
Les déplacements domicile-travail ont fait l’objet d’une enquête poussée de la coopération Norden qui vous montre les interconnexions fortes sur les régions déjà mentionnées. Les données sont, anciennes (2010), mais vous montre que les déplacements sont plus importants dans la région de Stockholm qu’ils ne sont à Oslo ou à Copenhague. Au Danemark et en Norvège, la population se déplace au sein de la province quand, à Stockholm, la population salariée peut arriver de Nörrkoping ou d’Uppsala (environ 1h30 de train). Finalement, la région de Stockholm me semble concentrer des déplacements comme l’île-de-France, en comparaison. Cela signifie, en temps de pandémie, qu’il était sûrement plus simple de faire des quarantaines territoriales au Danemark et en Norvège que cela n’était possible en Suède, probablement (hypothèse à confirmer).
II.C. La forme de la ville dans les capitales nordiques et leur planification : Un rôle dans le moteur de l’épidémie ?
Les villes nordiques sont ce que l’on appelle en jargon urbanistique, des villes construites sur un modèle TOD. C’est une notion développée par Peter Calthorphe dans les années 1990 qui vise à démontrer que des villes se sont construites avec le réseau de transport en commun afin de limiter l’étalement urbain, de favoriser la densité urbaine et ce que l’on appelle, aujourd’hui, la ville du 1/4 d’heure. C’est une notion qui est largement défendue dans les Urban Studies en Amérique du Nord. Dans les pays nordiques[17], la notion de TOD recouvre un urbanisme pragmatique centré sur l’usager (cf. la vision de l’individu dans ces sociétés) et de l’usage recherché de l’espace public. A un espace, une ou plusieurs fonctionnalités. A un espace, l’idée qu’un usager accède à ce qu’il a besoin rapidement et sans perdre de temps. De plus, les villes nordiques sont de taille petite à moyenne car le territoire est “hostile” avec un climat rude et froid associé à une absence de lumière. Les contraintes naturelles ont conduit à une forme de ville typique de ces pays. Et aucune de ces capitales ne se ressemble pour les avoir visité longuement. A Copenhague, la fabrique de la ville ressemble au concept de “Five Fingers”[18] développé à la fin des années 40 afin de relier la ville-centre avec les nouvelles villes satellites et les quartiers construits à l’issue de la guerre. Tout doit se relier facilement. A Stockholm, c’est un développement linéaire tout en concentrant une aire urbaine élargie qui a été recherché par les aménagements du territoire successifs [19]. L’étude de Panu Söderström, Harry Schulman and Mika Ristimäki que je vous cite en n°19 vous permet d’appréhender ces constructions urbaines qui diffèrent, largement, de notre pays bien qu’on s’en approche avec les écoquartiers ou lors du développement des villes nouvelles (avec la réussite que l’on connaît) dans les années 60. Ce sont, souvent, des villes qui résulte ce que l’on appelle l’urbanisme soutenable et surtout très bien pensées avec un équilibre recherché et voulu entre la densité et la multi-fonctionnalité des espaces publics[20].
Pour approcher la densité urbaine que j’ai expliqué, plus haut, nous pouvons calculer la densité de typologie d’habitat entre les 3 capitales nordiques et à titre de comparaison, Paris. En effet, les villes TOD sont construites en recherchant la densité et on remarque que Stockholm et Oslo concentrent plus d’immeubles que Paris. En termes de maisons individuelles, Oslo a un habitat plus dispersé que le reste des capitales. Après moults recherches, j’ai fini par trouver la répartition des logements en nombre de pièces dans les capitales scandinaves et Paris. La donnée de Stockholm est ancienne (2016) mais cela offre un bon aperçu. A titre d’information (et sans sortir de cet article), la Suède connaît une crise du logement depuis la fin des années 70 contrairement à ses voisins ce qui a conduit à diminuer les logements disponibles. Le rattrapage a commencé dans les années 2000 et la carte de Meyer Teva est intéressante sur ce sujet. Vous constaterez que Stockholm me semble proposer des appartements plus petits (1 pièce et 2 pièces) que les autres capitales (dont Paris sauf sur les studios). Cela signifie que les logements n’offrent pas la même qualité de vie entre les trois capitales scandinaves et ça doit se prendre en compte sur les notions de surpeuplement ainsi que sur la qualité de vie, en général, en temps d’épidémie.
Ces villes “TOD” ont, toutefois, un réel inconvénient avec l’évolution de la population et les problématiques propres aux pays nordiques avec la douloureuse et épineuse question de l’immigration (des années 90 avec l’arrivée des réfugiés de l’ex-Yougoslavie puis l’immigration 2014–2015). Ainsi, la célèbre ville de Malmö est souvent décrié suite aux problèmes de ségrégation dans certains quartiers[21]. En Suède, la ségrégation a fait l’objet d’une série d’articles par la délégation contre la ségrégation (delmos.se). Bien dommage que ces articles ne soient pas traduits en anglais, mais ils démontrent que la dynamique épidémique en Suède s’est, malheureusement, trouvée un terrain favorable dans les quartiers densément peuplés avec des problématiques de surpeuplement dans les logements. J’y reviens, dans un prochain paragraphe.
Hypothèse à confirmer:
Le flux de circulation des habitants est, plus concentré, dans les capitales nordiques qu’à Paris à titre simple de comparaison du fait de la construction de ces villes. Sur la dynamique épidémique, cela pourrait avoir jouer en la défaveur de ces capitales.
Troisième conclusion:
Les villes nordiques diffèrent des villes du continent européen par le fait que ce sont des villes construites sur un modèle TOD. A Paris, seul le quartier de la Défense est réellement un quartier “TOD” quand le transport de commun est venu après l’urbanisation de la ville (cela dit, on trouve du TOD avec le Grand Paris et les projets actuels). Ces modèles de villes dont le revers de médaille tourné sur une ségrégation dans certains quartiers et associés à un surpeuplement peut avoir été à l’origine de la propagation de l’épidémie dans l’espace urbain.
Les “TOD” et la ségrégation, un sujet épineux et complexe, dans les villes scandinaves
En effet, l’organisation spatiale “pragmatique” a conduit à développer une ségrégation spatiale des fonctions urbaines [22]. Il n’est pas à oublier que les villes nordiques ont connu un passage sombre dans les années 70–80 associé à un manque de rénovation urbaine. Certains quartiers ou certaines villes satellites sont dans un état déplorable comparable, si ce n’est pire, à certaines villes de Seine-Saint-Denis en France. Je résume volontairement pour ne pas disgresser de mon sujet.
La ségrégation spatiale entraîne, malheureusement, une concentration des populations plutôt défavorisées dans certains quartiers. Cette ségrégation peut s’approcher avec le surpeuplement dans les logements. L’indice de peuplement des logements consiste à croiser le nombre de personnes vivant dans le logement avec un indice de surface. Cet indice est riche pour comparer les capitales nordiques (Paris reste un groupe contrôle). Vous avez, deux possibilités pour cela. Soit vous prenez le nombre de ménages vivant en surpeuplement (statistiques trouvées sur Oslo, Paris et Stockholm[23]) ou vous pouvez prendre le nombre de m2 disponibles par personne. Paris (et sa région) proposent environ 30m2/personne, quand Stockholm et son comté propose 32m2/personne. Oslo et Copenhague proposent plus d’espace autour de 40m2/personne. Cette différence de logements peut aider à contrer une épidémie car les gens ont plus de place dans leurs logements et donc, il est plus facile de séparer une personne malade de son foyer sans forcément, décider, d’un isolement en hôtel, par exemple.
Une autre manière d’approcher le surpeuplement est de savoir le nombre de ménages vivant en condition de surpeuplement. En effet, nous avons démontré que Stockholm propose des appartements plus petits en proportion du marché immobilier, contrairement à Oslo et Copenhague. Or, un logement petit signifie pour des familles d’être à l’étroit, voire d’être en situation de surpeuplement (pas assez de m2 disponibles/personne). Une différence démographique, notable, apparaît entre les capitales scandinaves. En effet, en Suède (Stockholm et son comté), le surpeuplement concerne autour de 21,4% des ménages et autour de 18% pour le comté[24]. Pour Oslo et sa région, on descend autour de 10% pour la ville-centre. Pour Copenhague, je n’ai pas trouvé mais nous devrions être entre Oslo et Stockholm. A titre de comparaison, l’île-de-France[25] concentre autour de 20,6% de ménages en surpopulation, une fois que l’on enlève l’indice de surface avec les ménages seuls. Attention, toutefois à la comparaison brute entre chaque pays, car les normes ne sont pas tout à fait identiques mais ça montre des choses intéressantes[26]. A Oslo, cette étude a été menée par les chercheurs de l’université avec un article intéressant sur la qualité de vie impactée durant la pandémie[27]. Et la problématique dans ces pays nordiques, c’est que le surpeuplement concerne une part importante de la population immigrée. N’ayant pas les derniers chiffres en main, je ne les indique pas. A Oslo, le quartier de Stovner concentre, depuis le début, un taux d’incidence fort[28] comme on peut le voir sur ce suivi via une cartographie en ligne[29] proposée par la ville d’Oslo qui montre les taux par quartiers (cf. comme en France, avec les données IRIS sur le site Geodes).
[Ajout en mai 2021] Pour démontrer la problématique du surpeuplement dans la dynamique épidémique, la carte publiée par l’association des locataires (hyregastforeningen) permet de voir les dernières données éditées en 2018. Par ailleurs, on peut comparer les chiffres de la première vague publiées par la région de Stockholm avec ces villes/quartiers en difficulté. Ainsi, la ville de Södertälje compte 6000 ménages en situation de surpeuplement soit 16% du parc immobilier. Elle concentre, à la première vague (au mois de juin), 101 décès du covid-19 pour 698 cas confirmés. Les décès représentent 10% des décès de la commune de Stockholm. De l’autre côté, Sigtuna compte 245 cas et 45 décès où le surpeuplement est dans la même proportion que Södertälje. Autre exemple à Botkyrka avec 574 cas pour 64 décès et où le surpeuplement concerne 6776 ménages soit 19,6% du parc immobilier. Il faudra des enquêtes plus poussées pour considérer cette hypothèse (distinguer les décès à domicile, les contaminations familiales, les décès en EHPAD…) mais ça reste intéressant à noter sur la qualité de vie en Suède et dans la région de Stockholm.
La carte ci-contre concatène la donnée de surpeuplement dont le dernier recensement est de 2018 (issue du site Hurvibor.se) avec les dernières données de décès du covid-19 par le ministère des affaires sociales. On s’aperçoit que l’hypothèse entre un taux de surpeuplement important >8% (moyenne française pour comparaison) et un grand nombre de décès covid-19 fonctionne pour une grande majorité des communes. Dans le cas des communes où le taux de surpeuplement ne donne pas un lien avec des décès importants du covid-19, il faudra rechercher d’autres causes comme la présence de plusieurs EHPAD ou une démographie fortement déséquilibrée (communes avec une population âgée, par exemple).
Quatrième conclusion:
Le surpeuplement dans les capitales nordiques (notamment en Suède) peut avoir joué un rôle important dans la propagation de l’épidémie favorisant sa dispersion dans des ménages pauvres avec des conditions de logement difficiles. En effet, le surpeuplement tend à concerner, en Europe, des ménages aux situations sociales complexes. Les différences notables entre les 3 capitales scandinaves peuvent avoir jouer un rôle non négligeable dans les écarts de mortalité.
III. Quelques comparaisons avec l’épidémie du covid-19 au sein de ces trois pays. (partie mise à jour en mai 2021)
A. Des régions aux mortalités différentes et ce, malgré les restrictions. Il faudra, donc, comparer avec la démographie des régions.
Comme je l’ai indiqué, plus haut, je ne reprends pas la comparaison des politiques publiques car cela a déjà été fait. Ces comparaisons ne tiennent pas compte des politiques publiques mises en œuvre pour faire face à la pandémie. En effet, les situation socio-démographiques des trois pays sont trop différentes pour permettre une évaluation fiable de l’efficacité de ces politiques publiques. Par ailleurs, cet article n’a pas pour but de critiquer favorablement ou défavorablement les NPI. Il donne des clés pour comprendre ces pays.
Les données pour la Norvège sont issues des tableaux publiés par FHI. Ainsi, en mai 2021, nous pouvons constater que l’épidémie s’est concentrée dans les principales villes du pays (cf. l’aménagement du territoire). A Oslo, ils recensent 35 466 cas puis Bergen avec 6216 cas et Trondheim avec 2549 cas. Depuis février, le nombre de cas a doublé à Oslo et quasiment doublé à Bergen, ce qui témoigne d’une deuxième vague malgré les restrictions lourdes imposées (pour rappel : Oslo, 18 000 cas, Bergen, 4425, Trondheim, 2014 cas). L’interconnexion forte sur le fjord d’Oslo et les quarantaines territoriales montrent que l’épidémie a réussi à être contenu dans la partie la plus peuplée du pays.
Sur le Danemark, les villes sont principalement touchées. Ainsi, en mai 2021, nous pouvons dénombrer environ 58 000 cas sur Copenhague (avec l’enclave de Frederiksberg). Ensuite, nous trouvons Aarhus avec 17 786 cas puis Odense avec 8911 cas. 90% des villes du pays comptent, au moins, 1000 cas confirmés depuis le début de l’épidémie. Cela signifie, donc, que malgré les restrictions lourdes, l’épidémie a réussi à se propager dans l’ensemble du pays (zones rurales comprises). Toutefois, il est à remarquer que l’île de Copenhague a été plus touchée en termes d’incidence que l’île ouest.
Sur la Suède, notons que les chiffres continuent à différer entre l’agence de santé publique et le ministère des Affaires sociales [31][32]. 22 communes recensent plus de 10 000 cas (Lund, Nörrköping, Nacka…) et 1 commune recense plus de 24 000 cas (Uppsala dans la banlieue de Stockholm). Ces communes sont, principalement, situées dans le comté de Stockholm ou dans le sud du pays.
Avec les statistiques du ministère des Affaires sociales, il est possible de récupérer les statistiques des décès du covid-19 sur les décès totaux de cette maladie en fonction des villes et des régions. A présent, le comté de Stockholm concentre 30% des décès suivi par le Västra Götaland et la Scanie (16,5 et 11,6%). Cela témoigne que l’épidémie s’est concentrée dans le sud du pays (et cela malgré une absence de restrictions lourdes) et donc, dans la zone la plus peuplée du pays. Si nous regardons les proportions de décès des villes sur les décès du comté, il est à constater que Stockholm (comme les grandes villes) concentre 40% des décès. Les autres grandes villes sont entre 30 et 50% pour simplifier. Il faut, donc, analyser, en détail la mortalité par comté pour voir l’influence de la ville. A titre d’exemple, dans un comté plus rural, la commune d’Ostersund concentre 50% des décès. A nouveau, il faut regarder avec plusieurs niveaux de détails pour se faire une idée plus précise de la situation. Mais en conclusion, il n’y a pas vraiment de différence entre les 3 capitales scandinaves et des villes moyennes sont, aussi, touchées.
Il reste, dommage, que les données communales ne soient pas libres pour le Danemark, la Norvège ou encore la France pour regarder et essayer de faire des comparaisons entre les villes. En France, seul Paris a des données à ce niveau mais parce que c’est un département.
Si l’on fait une comparaison avec la France, nous resterons au niveau NUTS2 qui est défini comme étant un niveau de comparaison équivalent au sein de l’Europe. Si l’on étudie le taux de mortalité pour 100 000 habitants dans les régions scandinaves, nous constatons que Stockholm conserve le taux de mortalité plus élevé mais que la seconde vague a été quasiment identique partout dans les autres régions. La région de Copenhague présente, maintenant, 80 personnes/100 000 habitants. Signe que la mortalité se réduit entre la Suède et le Danemark bien qu’il reste de la marge. Seule la Norvège continue de tirer son épingle du jeu mais l’épidémie s’est concentrée à Oslo et dépasse les 20 morts/100 000 habitants.
Pour la France, les calculs sont faits avec les anciennes régions (NUTS2) et nous pouvons constater que l’île de France concentre environ 30 morts/100 000 habitants au 21 mai 2021. Attention, il s’agit uniquement des décès par certificat électronique (environ 30% des décès). On peut estimer que la mortalité est similaire entre la région de Stockholm et l’île de France. Pour les autres régions, nous retrouvons une mortalité similaire à la Suède ou au Danemark/Norvège. Il faut, donc, au-delà des NPI étudier les régions qui seront similaires en démographie et en sociologie. Seule la Norvège tire, réellement, son épingle du jeu mais elle avait un avantage géographique certain (en bout de ligne de flux de circulation) contrairement au Danemark et la Suède (qui a des connexions fortes avec la Finlande et la Norvège, en plus). La France, possède de nombreux corridors économiques comme l’Allemagne.
En mai 2021, la concentration des décès diminue au profit des autres régions. Ainsi, Oslo ne concentre plus que 68% des décès tandis que Copenhague concentre toujours 69% des décès. Sur la Suède, cela reste à peu près identique autour de 45% des décès pour l’aire d’influence de Stockholm (SE11 et SE12). Pour renforcer mon propos sur les différences de décès entre les trois capitales (les chiffres sont rapportés au comté donc région Hovedstaden, Stockholm län, Oslo/Viken län), nous pouvons regarder la structure démographique des villes. Ainsi, vous vous apercevez que Stockholm concentre plus d’hommes et de femmes âgées que les deux autres capitales. Oslo et Copenhague sont, finalement, assez similaires. A nouveau, cela témoigne de la difficulté de mesurer la réussite ou non d’une politique publique en pandémie.
B. Quelques explications et hypothèses pour les différences Suède et autres pays :
Des chercheurs, en Suède, cherchent à comprendre pourquoi la région de Stockholm a concentré les décès du pays avec une surmortalité par rapport à ses voisines scandinaves. Ludvigsson considère trois points :
- la métropolisation de Stockholm;
- une population immigrée plus importante;
- une proportion de maisons de retraite plus forte[33].
Cette thèse reste fortement débattue du fait des propos de Tegnell qui avaient fait largement polémique[34]. Je ne rentrerai pas dans ce débat mais force est de constater que le Staten of Norden — édition 2020 lui donne raison sur le fait que la population étrangère est plus importante en Suède (19,1% contre 15,8% en Norvège et 12,2% au Danemark). Et si vous avez une population immigrée qui comprend mal la langue du pays, a des difficultés d’intégration avec des difficultés de logement, cela peut jouer en leur défaveur en période d’épidémie (mauvaise compréhension, situation sociale complexe avec des boulots mal protégés, etc. etc. etc). Le débat existe, par ailleurs, entre les deux épidémiologistes en chef entre la Norvège et la Suède car c’est un point identique. Attention, je ne dis pas que c’est de la “faute d’une population” mais il est à constater qu’il y a un échec de la politique d’intégration dans ces pays (en France, je doute fort qu’on soit meilleurs à ce sujet). Ces pays réalisent, des statistiques “ethniques” dans leur bulletin épidémiologique hebdomadaire ou lors d’analyses plus poussées. Tout en étant prudent car c’est peut-être une population plus ciblée en termes de dépistages et de tests, les instituts de santé publique montrent l’impact sur cette population. Sur cette question de la population nées en dehors du pays, les faisceaux semblent concorder entre conditions de vies, boulot et l’épidémie. Dans la Scandinavie, ce sont les étrangers qui ont payé le plus lourd tribut face à l’épidémie. C’est un point commun aux trois pays.
Cinquième conclusion:
La mortalité à Stockholm ou en Suède doit être rapportée à la situation démographique. Ainsi, le taux de mortalité est beaucoup plus faible en Norvège et au Danemark dont une partie est probablement lié à un avantage démographique. Il n’y avait donc, pas de réel avantage géographique et démographique pour la Suède par rapport à ses voisins.
Discussions et perspectives :
Les différences démographiques, urbanistiques, sociales entre les trois pays nordiques montrent que celles-ci ont joué un rôle moteur dans la propagation de l’épidémie ainsi que de sa dispersion entre les voisins. La Suède a une interconnexion importante avec ses voisins et qui est moindre lorsque l’on regarde la situation de la Norvège ou du Danemark. Les interconnexions avec le continent ont sûrement joué un rôle important en Suède comme le mentionne Frederik Charpentier Ljungqvist dans une interview récente [35]. Ces interconnexions permettant un flux de circulation des personnes ont joué dans la propagation de l’épidémie avec, sûrement, un désavantage pour la Suède. La Norvège, située en fin (ou début) de flux logistique, a un réel avantage démographique semblable à l’idée d’une “île” en Europe si nous exagérons, un peu.
La mortalité du covid-19 est, aussi, très différente, entre ces pays. On voit que la 2ème vague a fait doubler les taux de mortalité en Norvège (0,011% à 0,015%) tandis que ça reste stable au Danemark (0,04) et que la Suède passe de 0,12% à 0,14% ce qui fait que la Suède n’est absolument pas le pays où il y a le plus de morts au regard de la situation européenne.
Cette différence statistique dans le calcul du taux de mortalité peut être recherchée dans les critères socio-démographiques décrits, dans cet article. Ainsi, vous avez un ratio de dépendance vieillesse plus élevé en Suède avec un écart de 1,2 (Norvège) et 1,1 (Danemark). Sur le taux de mortalité, cela diminue déjà l’écart statistique. Sur la population immigrée, l’écart statistique est sensiblement le même entre les trois pays. Sur la population âgée, vous avez des écarts jusqu’à un facteur 4 entre le Danemark et la Suède (idem avec la Norvège). Ces écarts statistiques pourraient, à mon sens, expliquer jusqu’à 30–40% des décès de différence entre la Suède et ses voisins directs. Le reste étant lié aux politiques publiques mises en place.
Ainsi, pour avoir le taux de mortalité identique entre les trois pays (c’est-à-dire le nombre de décès sur la population recensée à un instant donné), il faudrait :
- Suède : 1500 morts pour avoir le même taux que la Norvège. 5000 décès pour avoir le même taux que le Danemark.
- Danemark : 8000 morts pour avoir le même taux que la Suède. 800 morts pour avoir le même taux que la Norvège.
- Norvège : 2000 morts pour avoir le même taux que le Danemark et 7500 pour avoir le même taux que la Suède.
Au premier abord, ces chiffres peuvent paraître surprenants. Mais attention au recensement des décès qui est différent entre chaque pays. Les pays nordiques calculent tous jusqu’à J+30 mais la Suède assume un différentiel de 10% entre les chiffres du ministère des Affaires Sociales et l’institut de santé publique car il y a une double vérification qui est mené car il y a toujours du retard. Je n’ai pas trouvé pour la France mais je suis disposé à mettre à jour si un article sourcé explique la méthodologie retenue. Pour la Norvège[36], il y a eu une discussion assez importante sur ce qui est considéré comme une cause sous-jacente du décès. Et, on apprend au 24 février, qu’il y a des décès non comptabilisés de la première vague avec un rattrapage en cours pour 15 décès. Pour le Danemark[37][38], le comptage est aussi en discussion avec cette histoire de cause sous-jacente du décès tout comme en Suède[39]. S’il y a un “échappement” des décès, cela pourrait expliquer aussi les différentiels de taux de mortalité mais, aujourd’hui, je n’ai trouvé aucune source fiable et sûre entre ces pays.
En conclusion, la Suède a été plus touchée que le Danemark et la Norvège, mais comme elle a une structure démographique quasiment identique à la France, son taux de mortalité se rapproche de la France. Ce qui est, somme toute, logique au regard des critères géographiques (nœud de communication, densité urbaine bien que différente) et des critères sociaux (population âgée, ratio de dépendance vieillesse, surpeuplement des ménages et des logements). Les différences géographiques et sociales, avec ses voisins immédiats, ont conduit à une évolution défavorable de la mortalité du covid-19 mais, personnellement, 30 à 40% des décès évités au Danemark et en Norvège le sont grâce à un avantage socio-démographique (population âgée moins importante, moins de surpeuplement des ménages et des logements, densité urbaine différente notamment en typologie d’habitat). Le reste des décès devrait être lié aux politiques publiques mises en place, c’est à dire que 5000 décès en Suède le sont avec le retard pris durant la première vague sur le “tester, tracer, isoler” (dont le retour des touristes des stations des sports d’hiver dans les Alpes). En Norvège, la première vague était liée à eux et la seconde vague a, plutôt, été le fait des retours des travailleurs immigrés d’Europe de l’Est[40] ainsi qu’à des fêtes illégales [41] dont une à Sarpsborg au sud d’Oslo qui a été, modérément, apprécié par les autorités. Les quarantaines territoriales (Sarpsborg, Trondheim) ont clairement bien fonctionné en Norvège.
Au Danemark, le gouvernement a été le plus restrictif par rapport à ses voisins, on pouvait s’attendre à un taux de mortalité inférieur à la Norvège, ce qui n’est pas le cas. A nouveau, la structure socio-démographique n’est pas la même entre les deux et les échanges avec l’Allemagne sont importants. Il faudrait 600 morts au Danemark pour avoir le même taux que la Norvège, au 24 février 2021, soit 60% de décès en moins du covid-19 (2213 au dernier recensement pour le Danemark).
D’un point de vue personnel, il me semble largement difficile de mesure de la réussite des NPI quant on voit la diffusion du SARS-Cov2 au Danemark ou en Norvège bien que les quarantaines territoriales ou l’interdiction de se déplacer à plutôt bien fonctionné. A noter qu’une interdiction de déplacement n’a pas été, forcément, lié à une fermeture totale des activités dans les villes concernées. Ce sont des politiques territoriales. Dans tous les cas, entre une société qui est restée plutôt ouverte et des pays ayant choisi un confinement, il faut considérer les différences socio-démographiques pour voir si cela fonctionne réellement. D’un point de vue de personnel, la Suède n’a pas fait pire que d’autres pays européens du fait d’une démographie en désavantage par rapport à ses voisins. Le doublement de décès chez les personnes âgées me semble être un effet mécanique par rapport à leur politique d’EHPAD (largement décriée depuis vingt ans et pas que depuis 2020). La question me semble, donc, ouverte sur l’efficacité des mesures de confinement au niveau national sans parler de la fermeture d’un certain nombre de lieux qui vont avoir des conséquences sur le long-terme (i.e. les écoles).
Sauf oubli de ma part, je pense avoir remis toutes les idées de mon thread #scandicovid19 qui a été fait, dans l’idée, de vous démontrer que la Scandinavie peut être vu de loin comme une entité homogène mais dans la réalité est bien plus complexe qu’on ne le pense. J’espère que cet article vous permettra d’appréhender les enjeux complexes au sein de la Scandinavie mis à jour avec la pandémie du covid-19.
[1] Données d’Eurostat: https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/ilc_peps11/default/line?lang=fr
[2] Institut de statistiques suédois : https://www.scb.se/
[3] Institut de statistiques norvégien: https://www.ssb.no/
[4] Institut de statistique danois : https://www.dst.dk/en
[5] https://twitter.com/Kalkspat1/status/1356268391401709572
[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Scandinavie
[7] https://www.museeprotestant.org/notice/le-protestantisme-dans-les-pays-nordiques/
[8] https://www.cairn.info/les-idees-les-valeurs-et-les-interets--9782707157249-page-59.htm
[9] https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/23831-vers-une-laicite-nordique
[10] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/infection-a-coronavirus/documents/bulletin-national/covid-19-point-epidemiologique-du-18-fevrier-2021
[11]https://boost.rs/blog/la-pyramide-des-ages-outil-de-pilotage-pour-les-rh/#:~:text=La%20pyramide%20des%20%C3%A2ges%20en%20forme%20de%20champignon%20r%C3%A9v%C3%A8le%20un,les%20mains%20de%20salari%C3%A9s%20exp%C3%A9riment%C3%A9s.
[12]https://www.instantcritique.fr/actualites/sante/la-suede-entre-mythes-et-realites
[13] http://www.citego.org/bdf_fiche-notion-1_fr.html
[14] http://www.imaginerlequebecautrement.org/albums-photo/densit%C3%A9/densit%C3%A9/
[15] http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/densifier-dedensifier-penser-les-campagnes-a1500.html
[16]http://www.constructif.fr/bibliotheque/2013-6/la-densite-vertueuse.html?item_id=3340
[17] https://journals.openedition.org/perspective/12698
[18] https://www.scandinaviastandard.com/a-brief-look-at-urban-planning-in-copenhagen/
[19] https://helda.helsinki.fi/bitstream/handle/10138/155224/SYKEre_16_2015.pdf?sequence=4
[20] https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09654313.2013.797383
[21]https://www.rts.ch/play/radio/le-journal-du-matin/audio/miroir-scandinave-45-lurbanisme?id=8723287
[22] https://www.cairn.info/revue-flux-2015-3-page-29.htm
[23]https://hurvibor.se/bostader/laget-i-kommunerna/
[24] https://www.boverket.se/sv/om-boverket/publicerat-av-boverket/publikationer/2016/trangboddheten-i-storstadsregionerna/
[25]https://www.apur.org/sites/default/files/documents/conditions_logement_ile_de_france_2017.pdf
[26]https://www.aftonbladet.se/nyheter/a/zGdqpq/trangbott-i-sverige--normer-fran-80-talet
[27]https://www.idunn.no/tidsskrift_for_boligforskning/2020/01/trangboddhet_og_barnefamiliers_hverdagsliv_i_koronaens_tid
[28]https://www.nettavisen.no/okonomi/korona-pandemien-herjer-mest-der-folk-bor-trangt-og-ikke-har-rad-til-karantene/s/12-95-3424069607
[29] https://experience.arcgis.com/experience/742a281a0fa74ab79147a76e6b52833b
[30]https://experience.arcgis.com/experience/aa41b29149f24e20a4007a0c4e13db1d
[31] https://experience.arcgis.com/experience/a6d20c1544f34d33b60026f45b786230
[32] https://www.socialstyrelsen.se/statistik-och-data/statistik/statistik-om-covid-19/
[33]https://www.nettavisen.no/nyheter/tre-teorier-pa-hvorfor-det-dor-flere-i-sverige-enn-i-norge-n-teori-er-omstridt/s/12-95-3424063571
[34]https://norwaytoday.info/news/tegnell-larger-immigrant-population-led-to-faster-corona-spread-in-stockholm/
[35]https://www.nettavisen.no/nyheter/svensk-historiker-om-norge-og-overdodelighet-dette-er-helt-unike-tall/s/12-95-3424091376
[36]https://www.faktisk.no/artikler/eRZ/hvordan-teller-man-koronadodsfall-i-norge
[37]https://videnskab.dk/coronavirus#doedsfald
[38]https://www.tjekdet.dk/indsigt/doer-man-af-eller-med-corona-svaret-er-ikke-lige-til
[39]https://www.socialstyrelsen.se/statistik-och-data/statistik/statistik-om-covid-19/statistik-over-antal-avlidna-i-covid-19/datakallor-for-avlidna-i-covid-19/
[40] https://www.vg.no/nyheter/innenriks/i/pALaKw/mistenkte-virusmutasjon-her-er-det-noe-som-ikke-stemmer
[41]https://norwaytoday.info/news/neither-sarpsborg-nor-fredrikstad-are-closing-down-for-the-time-being/